Lorsque l’on regarde la situation des Ehpad, un an après la sortie du livre choc de Victor Castanet « Les Fossoyeurs », on ne peut s’empêcher de penser à la célèbre phrase de Lampedusa « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Car de fait, les changements depuis février 2022 après ce scandale semblent bien minces et en tout cas pas à la hauteur de l’immense émotion et de l’immense colère des Français suscitées par les révélations du journaliste sur les pratiques du groupe Orpea.
Il aurait pourtant dû et pu en être autrement. Car si depuis plusieurs années des dizaines d’affaires de maltraitance et de dysfonctionnements dans des Ehpad ont émaillé l’actualité, parfois sanctionnées en justice, si des centaines de témoignages de personnels ou de familles ont été recueillis dans la presse, si des dizaines de livres ont été publiés – dont « Maman, est-ce que ta chambre te plaît ? » (Ed. Privé), de William Réjault et de notre consœur Christelle Bertrand, paru… en 2009 –, l’enquête au long cours de Victor Castanet aurait dû être un salutaire électrochoc pour une totale remise à plat du système.
Par le nombre et la diversité des témoignages – des familles de résidents aux salariés des Ehpad, en passant par des cadres courageux d’Orpea qui ont dénoncé les pratiques de leur employeur – par sa capacité à décortiquer le système du groupe Orpea, ce livre, qui ressort en poche augmenté de dix nouveaux chapitres, a mis au jour un système implacable où l’on voit Orpea obnubilé par ses performances financières, sa rentabilité et les dividendes à verser à ses actionnaires plutôt que par la qualité de vie de ses salariés et de ses résidents. Le livre dénonce aussi la complaisance et les protections administratives et politiques dont a bénéficié le n° 2 français des Ehpad. Sur tout cela, la justice va devoir faire la lumière.
Mais la réponse ne saurait être que judiciaire ni consister seulement en un renforcement des contrôles des Ehpad aujourd’hui encore trop légers ou en un saupoudrage de quelques crédits insuffisants. Le scandale Orpea, qui a jeté l’opprobre sur tout le secteur des Ehpad – alors que seuls 24 % sont commerciaux et que beaucoup, publics ou associatifs, ne connaissent pas de problèmes – doit poser les bases d’une profonde réflexion sur la société du grand âge dans laquelle entre la France. Selon l’Insee, d’ici à 2070, le nombre des 75 ans ou plus devrait croître de 5,7 millions. En 2040, il y aurait 51 personnes de 65 ans ou plus pour 100 personnes de 20 à 64 ans, contre 37 en 2021. La France doit regarder cette réalité sérieusement et se doter de tous les outils pour y faire face, et en premier lieu le recrutement de personnels – la profession aurait besoin de quelque 100 000 professionnels soignants en cinq ans – et la mise en place de dispositifs pour le maintien à domicile – plus de 85 % des retraités souhaitent vieillir à domicile. Il y a là une véritable urgence.
En 2020, une nouvelle branche de la Sécurité sociale a été créée avec un cinquième risque, celui de l’autonomie. Depuis, on attend toujours cette grande loi sur l’autonomie promise par Emmanuel Macron depuis 2017 mais toujours pas mise à l’agenda. À peine le Conseil national de la refondation (CNR) Santé lancé le 3 octobre a évoqué le « bien vieillir ». Au lieu d’une réforme des retraites jugée injuste et inefficace par une majorité de Français qui la rejettent, n’aurait-il pas mieux valu enfin bâtir cette grande loi autonomie à même de dégager un large consensus dans le pays ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 30 janvier 2023)