La mère des batailles contre la mère des réformes. Ce scénario prévisible depuis des mois se joue aujourd’hui en France avec un mouvement de manifestations et de grèves contre la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron. Sans préjuger de la mobilisation qui devrait être très importante voire historique ce jeudi – puisque le front syndical est uni pour la première fois depuis douze ans et qu’une écrasante majorité de Français est opposée à cette réforme – et sans pronostiquer de quelle façon la contestation pourra s’inscrire ensuite dans la durée, il n’y a aucune surprise à voir s’installer ce bras de fer attendu qui en rappelle bien d’autres sur le même sujet des retraites, et ce depuis les grandes grèves de 1995.
Personne pour l’heure ne peut dire comment finira cette bataille : les opposants pourront-ils faire reculer l’exécutif qui peine à convaincre et ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale où il a besoin d’au moins 39 suffrages venus des autres bancs pour faire passer son texte ? Ou, comme veut le croire Emmanuel Macron, la lassitude gagnera-t-elle les Français face à un texte qui, selon lui, serait inéluctable pour sauver le système des retraites prochainement déficitaire, alors que lui-même expliquait doctement en 2019 que « tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement ça serait assez hypocrite de décaler l’âge légal »….
Ce bras de fer où chacun joue son avenir – et le chef de l’État plus encore son second quinquennat – où les positions sont pour l’heure irréconciliables laisse en tout cas le sentiment d’un immense gâchis : la France n’a pas été capable de dégager sereinement une véritable réflexion consensuelle sur son système de retraites et plus largement sur son système social à l’heure des grandes mutations du monde du travail et de la société. La pandémie du Covid-19 n’a pas été qu’une crise sanitaire, elle a aussi bouleversé notre rapport au travail, au sens de celui-ci dans nos vies personnelles et à son rôle dans l’organisation de la société et le fonctionnement de notre République sociale. Tout cela aurait pu et dû nourrir une véritable réflexion en y associant les Français avant toute nouvelle réforme. En 2019, Emmanuel Macron avait eu l’audace de proposer une large mais complexe remise à plat du système avec la retraite par points ; en 2022, le même s’est recroquevillé sur une énième et classique réforme paramétrique jugée injuste par les Français. Une réforme que le chef de l’État présente aujourd’hui en reprenant le credo libéral de Margaret Thatcher : « Tina » (there is no alternative), il n’y a pas d’alternative.
Et pourtant, il existe bien des alternatives. D’autres réformes des retraites sont possibles comme l’ont montré ces dernières semaines le Conseil d’analyse économique, le think tank Terra Nova et même le Haut-commissariat au plan piloté par François Bayrou. Du développement de l’emploi des seniors à la suppression de certaines exonérations de cotisations accordées aux employeurs, de la contribution des retraités à la majoration des cotisations sociales, de multiples curseurs sont activables pour imaginer une autre réforme, plus juste et donc plus acceptable par une majorité de Français.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 19 janvier 2023)