Des rivières à sec l’été, des querelles de voisinage sur l’usage de l’eau dans les campagnes, des restrictions qui interdisent le lavage des voitures, l’arrosage des pelouses ou le remplissage des piscines et, parfois, des villages qui se retrouvent sans eau potable. Cela fait plusieurs années que les Français vivent ces situations, de façon de moins en moins ponctuelle. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls et, de l’Espagne à l’Italie, de l’Allemagne à la Slovénie, les Européens font face à ces problèmes de la gestion et du partage de la ressource en eau. 2022 aura assurément constitué un tournant, comme un avertissement de la gravité d’une situation hydrologique qui s’est dégradée de façon continue.
Année la plus chaude que la France métropolitaine ait jamais mesurée, 2022 a exacerbé les difficultés et provoqué des situations extrêmes en termes de sécheresse, de jours et de nuit caniculaires, mais aussi d’incendies géants, de destruction de la biodiversité et de pénurie d’eau. Autant de drames liés de façon incontestable au réchauffement climatique, comme le prédisaient depuis longtemps les experts du Giec – il suffit de lire leurs rapports. Autant de faits qui nous obligent à accélérer les mesures pour préserver la ressource en eau et les écosystèmes et éviter ainsi les conflits, les guerres de l’eau qui ont déjà cours dans certains pays du monde. Car comme l’explique Météo-France, dans une Europe qui « se réchauffe plus vite que le reste du monde », l’année 2022 « pourrait devenir la norme en France au milieu du XXIe siècle. » La température moyenne en France pourrait ainsi être supérieure de 3,8 °C en 2100 par rapport au début du XXe siècle, selon des projections « intermédiaires » publiées en octobre dans la revue Earth System Dynamics.
Autant dire qu’il est urgent de se préparer, maintenant, à ces scénarios avec le souci de la recherche du consensus pour concilier des approches radicalement différentes. Car d’un côté les écologistes plaident pour un changement aussi radical que les bouleversements climatiques avec l’arrêt de l’irrigation agricole, la création de réserves intouchables pour la biodiversité, le questionnement des usages de l’eau par les loisirs, l’industrie ou la filière nucléaire. De l’autre les agriculteurs, pris en étau entre la sécheresse météorologique, c’est-à-dire le déficit de précipitations, et à la sécheresse agricole, avec des sols terriblement asséchés, réclament la construction de barrages, de retenues collinaires voire de bassines pour continuer leur activité. Au centre les agences de l’eau sont les garantes d’une gestion équilibrée mais fragile.
Fin octobre, Elisabeth Borne a fait de l’eau l’un des 22 chantiers de « France nation verte », la feuille de route de la planification écologique du gouvernement. L’heure est désormais au passage à l’acte avec un plan de sobriété sur lequel le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a levé hier un coin du voile. Jugé trop contraignant pour les uns, très insuffisant pour les autres, il donne déjà le ton des débats à venir. Il va pourtant falloir que tout le monde, collectivement et individuellement, fasse des efforts et sans doute des concessions. Comme le dit l’ONU qui prépare la Journée mondiale de l’eau, l’eau nous concerne tous, tous nous devons agir.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 26 janvier 2023)
Photo : Le lac de l'Arrêt Darré en Hautes-Pyrénées (Pierre Challier)