L'émotion nationale provoquée par le décès de Jacques Chirac constitue peut-être l'ultime message, testamentaire, de l'ancien président de la République aux Français : rassemblez-vous.
Car depuis l'annonce de sa mort, force est de constater que se retrouvent autour de sa figure qui aura marqué plus de quarante ans de vie politique des «générations Chirac.» Dès jeudi soir, en effet, il n'y avait qu'à voir la diversité des Français qui se sont retrouvés à l'Elysée afin de signer le registre de condoléances, pour mesurer combien le Président Chirac avait su tisser un lien, une histoire quasi-intime résonnant en chacun d'entre nous comme avec le pays.
Les plus anciens se rappellent le séduisant jeune loup corrézien, ambitieux, prêt à tous les coups et tous les culots pour conquérir le pouvoir, élection après élection. Les moins jeunes se souviennent du Premier ministre de cohabitation toisé par l'impérial François Mitterrand, puis du candidat surmontant trahisons et sombres pronostics pour arriver – enfin – à l'Elysée. Les plus jeunes, eux, revoient les sketches des Guignols de l'info et s'arrachent aujourd'hui le t-shirt montrant la photo d'un Jacques Chirac sautant par-dessus une barrière de métro. Tous se délectent de ses phrases cultes. La plupart passe l'éponge sur les aspects moins glorieux de ses deux mandats pour se concentrer sur les facettes d'une personnalité hors normes le rendant si attachant.
Compagnon de route, adversaire politique, Président, grand frère, puis grand père : dans chacun des « rôles » qui ont jalonné son destin français, Jacques Chirac – tout en préservant une part de mystère et une intimité familiale protégée par une infinie pudeur – a insufflé une équanime qualité à sa vie, celle d'une chaleureuse empathie dans l'écoute de l'autre. Un état d'esprit, une ligne de conduite qui l'ont rendu si sympathique et populaire. Dès lors François Hollande, l'autre Président corrézien, a eu raison de dire que jeudi, que l'on a finalement perdu « un ami. »
Mais si la mort de Jacques Chirac émeut autant les Français, c'est aussi parce qu'elle signe la fin d'une époque. Un monde où la politique était une affaire de grands fauves, d'ambitions au long cours, faite d'apprentissage, de coups et de passion, où les chiffres s'effaçaient derrière les volontés, où la politique était plus charnelle que technocratique, où les experts restaient à leur place, où la France avait, aussi, une certaine idée d'elle-même…
Un monde finalement où, de Jacques Chirac, on aimait davantage l'homme que le Président. Ce week-end, les Français,nostalgiques et orphelins d'une figure si familière, honoreront républicainement le Président Chirac mais souvent salueront Jacques, ce «grand Français» qui leur ressemblait tant.
(Edidorial publié dans La Dépêche du samedi 28 septembre 2019)