L'agriculture est-elle devenue un champ de bataille ? En tout cas, le débat houleux sur les pesticides, et plus particulièrement le glyphosate, concentre – au détriment souvent d'autres thématiques – tous les enjeux et les contradictions de notre époque autour de l'alimentation, de la lutte contre le réchauffement climatique et de la préservation de la biodiversité. Et le moins que l'on puisse dire est que les positions sont tranchées, frontales, quasi irréconciliables entre les défenseurs de l'environnement et de la santé publique d'un côté, les agriculteurs et les industriels de l'autre, et les agences sanitaires au milieu dont l'impartialité et l'indépendance ne sont pas au plus haut… Le débat est d'autant plus vif que les avis scientifiques autour desquels toutes les parties auraient pu logiquement se retrouver peinent à se frayer un chemin dans un débat public où les opinions surpassent les faits et où les infox des réseaux sociaux et les coups de communication sont en embuscade… De plus, hélas, les études scientifiques ne dégagent pas encore de consensus sur la dangerosité des pesticides pour la santé humaine et l'environnement. Tout juste apparaissent un faisceau de présomptions, et des indices souvent accablants qui ne peuvent dès lors apaiser le débat.
Dans ce contexte tendu, la proposition du gouvernement de soumettre à consultation un projet de décret proposant de fixer à 5 ou 10 mètres, selon les cultures, la distance minimale entre les habitations et les zones d'épandage de pesticides, illustre jusqu'à la caricature l'épineux débat. Cette proposition d'arbitrage, qui semble couper la poire en deux, a le don d'agacer tant les écologistes qui jugent une telle proposition « anecdotique » et « insuffisante », que les agriculteurs, qui voient dans ces zones sans pesticides la perte de terres et donc un manque à gagner important, surtout dans les zones périurbaines.
Surtout, pour les agriculteurs, cette proposition constitue la mesure de trop et un casus belli car elle arrive dans un climat de mal-être profond. Les paysans n'en peuvent plus, en effet, d'être montrés du doigt et victimes d'un véritable agri-bashing sur l'utilisation des pesticides, mais aussi les conditions d'élevage ou les « bruits » de la campagne qui indisposent les néoruraux… Des critiques souvent injustes, qui passent sous silence les progrès réalisés par les agriculteurs au fil des ans et aussi le fait que ce sont bien eux les premières victimes des pesticides. Le sentiment de « déconsidération » s'est aussi trouvé exacerbé par la récente ratification par l'Assemblée nationale du Ceta, l'accord commercial entre le Canada et l'Union européenne et la perspective – aujourd'hui bloquée – de l'accord Mercosur…
Dès lors, pour apaiser cette colère, il appartient au gouvernement de sortir de l'ambiguïté, trouver la bonne position du curseur entre écologie et agriculture en évitant les demi-mesures et inventer une agroécologie qui préserve en même temps notre souveraineté agroalimentaire, notre santé et notre environnement. Telle est la seule bataille qui doit tous nous concerner.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 24 septembre 2019)