Le procès du Mediator qui s'ouvre aujourd'hui à Paris est assurément celui d'un scandale sanitaire majeur, peut-être même l'un des plus importants avec le dossier de l'amiante toujours en cours, ou celui du sang contaminé ans les années 80-90. Ce médicament anorexigène des laboratoires Servier, censé servir de traitement d'appoint pour le diabète, a en réalité été pris comme coupe-faim pendant plus de trente ans en étant prescrit à quelque 5 millions de personnes qui ignoraient tout de sa dangerosité. Ce procès pénal, qui intervient neuf ans après les premières révélations, permet d'ores et déjà de souligner le courage des uns et le déshonneur des autres.
Le courage, c'est d'abord celui du docteur Irène Frachon. Cette pneumologue au CHU de Brest s'est battue quasiment seule contre tous pour imposer en France une évidence clinique : le Mediator comportait une molécule dangereuse provoquant d'importants effets secondaires cardiaques et pulmonaires, des valvulopathies gravissimes. Son livre «Mediator 150 mg : combien de morts ?», sorti en juin 2010, aboutira au retrait du médicament. Irène Frachon, qui sera présente aujourd'hui à l'ouverture du procès, est devenue une lanceuse d'alerte iconique, mais surtout a décidé de poursuivre le combat de sa vie avec et pour les victimes.
Le courage, c'est aussi justement celui des victimes. Les 2700 parties civiles du procès vont porter le témoignage de destins brisés et de vies éteintes, puisqu'une expertise judiciaire impute au Mediator jusqu'à 2 100 décès au total. Toutes les victimes du médicament ne se rendront pas à Paris. Certaines, épuisées, âgées ou impécunieuses, ne feront pas le déplacement ; d'autres, qui ont été indemnisées, ont dû se désister de la procédure pénale. Mais le prétoire résonnera en leur nom d'autres témoignages pour réclamer la vérité et la justice.
De l'autre côté, il y a le déshonneur. Celui bien sûr des laboratoires Servier et de leur fondateur Jacques Servier, disparu en 2014, qui avait choqué l'opinion en niant les dangers de son produit, pointés dans plusieurs pays il y a plusieurs années. Les débats porteront notamment sur les mécanismes de tromperie mis en place minutieusement par Servier. Le groupe pharmaceutique a, en effet, mis tous ses moyens, notamment financiers, pour fausser la décision des autorités, écarter ou intimider les gêneurs, ou biaiser les avis d'experts officiellement indépendants pour préserver le mensonge et continuer à vendre son si lucratif Mediator...
Le déshonneur est aussi celui des autorités sanitaires. L'Agence du médicament, renvoyée pour «homicides et blessures involontaires» par «négligences», n'a clairement pas suffisamment pris en compte les signaux d'alerte et a curieusement tardé à interdire le Mediator.
A l'aube d'un très long procès qui va durer plusieurs mois et d'un parcours judiciaire qui se prolongera sans doute des années, Irène Franchon réclame «un jugement exemplaire».
Mais il appartient sans doute à l'Etat, sans attendre, de trouver les mesures pour mieux protéger les lanceurs d'alerte, mieux encadrer les procédures de contrôle, et au final, mieux considérer les victimes. Et cela afin de restaurer la confiance envers les autorités sanitaires et les laboratoires.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 23 septembre 2019)