Accéder au contenu principal

Culture démocratique

vote


Ce n’est pas le moindre des paradoxes de voir d’un côté le gouvernement multiplier le recours à l’article 49-3 de la Constitution pour faire adopter sans vote – et avec le moins de débats possible – les projets de loi budgétaires, et de l’autre voir le président de la République inviter prochainement les chefs des partis politiques à réfléchir à élargir le champ du référendum voire à réformer le très verrouillé référendum d’initiative populaire (RIP), qui, depuis 2008, n’a jamais été à son terme. Brutalisation de la démocratie parlementaire d’un côté, appel à recourir à davantage de démocratie directe de l’autre…

Ce vertigineux « en même temps » illustre toute la difficulté qu’a Emmanuel Macron à accepter le traditionnel cadre institutionnel de la Ve République dans lequel s’inscrivent pourtant depuis 1958 droite et gauche. Élu pour la première fois en 2017 sur le mandat le plus important de la République – la présidence – avec la promesse du dépassement, Emmanuel Macron n’a pas eu les clés de ces prédécesseurs qui, tous, ont été préalablement députés ou maires. Dans leurs mandats locaux ils avaient ainsi appris les rudesses, les chausse-trappes, les bonheurs et les déconvenues, la recherche de consensus aussi, bref les subtilités de la politique « à portée d’engueulade ». Arrivé à l’Elysée sans avoir ce bagage, Emmanuel Macron a d’emblée snobé les élus locaux, estimant qu’ils constituaient un frein à sa volonté réformatrice. Il aura fallu fin 2018 le mouvement des Gilets jaunes, qui portaient la revendication du Référendum d’initiative citoyenne (RIC), pour que le président-Jupiter renoue avec les élus locaux et donc avec les territoires qu’ils représentaient.

Mais toujours convaincu qu’il fallait dépasser des institutions qu’il jugeait trop ankylosées et pas assez représentatives, Emmanuel Macron n’a eu de cesse depuis de se lancer dans un concours Lépine démocratique pour reconnecter les citoyens avec leurs élus. On a ainsi eu le Grand débat national grâce auquel le chef de l’État s’est extrait de sa première grande crise sociale, bluffant des salles entières composées d’élus locaux. On a eu la convention citoyenne sur le climat, format totalement inédit de démocratie participative, réitéré pour la fin de vie. On a eu le Conseil national de la refondation, objet démocratique non identifié annoncé en pleine campagne des élections législatives, dont la création s’apparentait pour les oppositions à la volonté de court-circuiter une Assemblée où le président allait perdre sa majorité absolue ; et, enfin, on a eu les réunions de Saint-Denis auxquelles sont conviés les chefs de partis pour dialoguer les yeux dans les yeux avec le président.

À chaque fois, ces initiatives, parce qu’elles ne sont pas allées au bout de leur logique, ont déçu : les cahiers de doléances du Grand débat méticuleusement noircis par les Français sont tombés dans les oubliettes des archives nationales ; plusieurs des mesures de la convention climat qui devaient être toutes reprises sans filtre ont été expurgées ; le CNR n’a pas eu l’effet escompté en dépit de la qualité des débats notamment en région. Et la prochaine rencontre de Saint-Denis essuie déjà le boycott de plusieurs partis.

Dès lors faut-il modifier l’article 11 de la constitution pour permettre des référendums sur les toujours sensibles et clivants sujets de société, au risque d’ouvrir une dangereuse boîte de Pandore ? Faut-il simplifier le RIP pour tendre vers le système Suisse des votations, modèle de démocratie directe ? Ou amener un peu plus de numérique pour mieux consulter des Français de plus en plus nombreux à s’abstenir aux élections ?

La question reste bien sûr ouverte et des évolutions sont toujours possibles, mais pour une France qui pointe au 16e rang mondial de l’Indice de la démocratie, derrière l’Uruguay ou le Costa Rica, redonner du souffle aux instances existantes – du Parlement aux conseils municipaux, départementaux et régionaux– paraît le meilleur moyen de renouer avec une indispensable culture démocratique.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 9 novembre 2023)

Posts les plus consultés de ce blog

Grandiose !

  Cent ans après les JO de Paris de 1924, les XXXIIIes Jeux Olympiques d’été de l’ère moderne se sont ouverts hier dans la Capitale au terme d’une cérémonie d’ouverture exceptionnelle qui est entrée dans l’histoire en en mettant plein les yeux au monde entier. Les athlètes ont défilé non pas dans un Stade olympique mais en bateau, sur la Seine, sur un parcours rythmé par une mise en scène de toute beauté mettant en valeur la France, son patrimoine, son Histoire, ses talents, avant de rejoindre le Trocadéro devant une Tour Eiffel parée des anneaux olympiques. Nul doute que cette cérémonie réussie, émouvante, populaire, inédite, fera date en se rangeant dans la longue liste des défilés qui ont marqué les JO mais aussi l’histoire de notre pays, de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 à celle pour le Bicentenaire de la Révolution française en 1989, en passant par la Libération de Paris dont on va bientôt célébrer les 80 ans. Cette cérémonie ponctue plusieurs années de préparatio...

Guerres et paix

La guerre menace encore une fois le Pays du Cèdre, tant de fois meurtri par des crises à répétition. Les frappes israéliennes contre le sud du Liban et les positions du Hezbollah ravivent, en effet, le spectre d’un nouveau conflit dans cette Terre millénaire de brassage culturel et religieux. Après quinze années de violence qui ont profondément marqué le pays et ses habitants (1975-1990), la paix est toujours restée fragile, constamment menacée par les ingérences étrangères, les divisions communautaires et une classe politique corrompue. La crise économique sans précédent qui frappe le pays depuis 2019, puis l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth en 2020, symbolisant l’effondrement d’un État rongé par des décennies de mauvaise gouvernance, ont rajouté au malheur de ce petit pays de moins de 6 millions d’habitants, jadis considéré comme la Suisse du Moyen-Orient. Victime d’une spectaculaire opération d’explosion de ses bipeurs et talkies-walkies attribuée à Israël, le Hezbollah – ...

Vaccin et vigilance

La résurgence de la coqueluche en France comme ailleurs en Europe a de quoi inquiéter. En France depuis le début de l’année, un total provisoire de 28 décès a été rapporté à Santé Publique France, dont 20 enfants (18 de moins de 1 an) et 8 adultes (de 51 à 86 ans mais dont la coqueluche n’était pas indiquée comme première cause de décès). La circulation de la bactérie Bordetella pertussis, principale cause de la coqueluche, est si importante que les autorités s’attendent à de nouveaux cas à venir dans les prochains mois. Car la coqueluche est extrêmement contagieuse, une personne contaminée pouvant transmettre la maladie à 15 autres en moyenne… Et si elle a longtemps été considérée comme une maladie de la petite enfance, elle peut être sévère à tous les âges, voire mortelle pour les nourrissons, non ou partiellement vaccinés, et les personnes à risque telles que les femmes enceintes et les personnes âgées. Ce n’est pas la première fois que l’on est confronté à une résurgence de la coqu...