Il y a un an tout juste l’hebdomadaire tchèque « Respekt » publiait une caricature représentant Vladimir Poutine. Le maître du Kremlin, qui avait raté sept mois plus tôt son « opération militaire spéciale » en Ukraine – cette Blitzkrieg qui devait en quelques jours renverser le régime de Volodymyr Zelensky – était dessiné assis, l’air accablé dans un fauteuil surmonté d’un aigle bicéphale, symbole de la Russie, à côté d’un téléphone rouge, le bouton nucléaire en pendentif. Dans sa main, un pistolet comme s’il était prêt à se suicider dans ce bunker, une allusion à Hitler qui s’est donné la mort 30 avril 1945 à Berlin. En lettres capitales au-dessus de la scène : « La Russie est en train de perdre ». Un an plus tard, alors que le conflit s’enlise dans une interminable guerre de position et que l’armée ukrainienne peine à concrétiser sa contre-offensive, personne ne peut dire que la Russie est « en train de perdre » même s’il faudrait pourtant qu’elle perde pour avoir violé le droit international et perpétré des crimes de guerre.
À l’incroyable résistance des Ukrainiens galvanisés depuis le début de l’invasion par leur président répond celle, implacable, de Vladimir Poutine, sur lequel tout semble glisser… pour l’instant. Les sanctions internationales ? Elles n’ont toujours pas mis à genoux l’économie russe ni même isolé diplomatiquement la Russie qui s’est rapprochée de la Corée du Nord et des pays des Brics et s’immisce comme médiateur dans le conflit territorial du Haut-Karabakh. Les difficultés logistiques de son armée qui ne parvient pas à prendre le dessus sur celle bien plus petite de l’Ukraine ? La mobilisation massive et les stocks d’armes permettent toujours de tenir la ligne de front. La tentative de coup d’État de son ami Evgueni Prigojine ? La milice Wagner a été démantelée et son chef tué dans le « crash » de son avion qui ressemblait à une exécution mafieuse, pour l’exemple.
Dix-neuf mois après l’invasion de l’Ukraine, Poutine est toujours là et se prépare à gagner une élection présidentielle sans surprise l’année prochaine, quasi-assuré de la victoire après avoir emprisonné ses opposants et muselé la partie de l’opinion qui ne lui ferait toujours pas allégeance.
Ceux qui espéraient voir Vladimir Poutine emporté par la maladie, un putsch ou une révolte populaire en sont pour leur frais. De Kiev à Paris, de Berlin à Washington chacun se demande non seulement jusqu’où peut et veut aller Poutine mais aussi comment appréhender cet homme dont on a tout dit de lui, son parcours d’espion, sa paranoïa, ses ambitions impérialistes, sa brutalité, mais que l’on connaît finalement très peu. Poutine reste un mystère, une énigme inquiétante et contrairement à d’autres despotes dont on connaissait la famille, les proches voire les successeurs, rien ne filtre de celui qui a verrouillé son entourage dont les membres lui doivent tout, cadenassé sa vie privée et qui contrôle la moindre image de lui depuis des années. Personne ne sait comment est Poutine dans l’intimité, ce qu’il aime, ce qu’il lit, ce qu’il regarde. Qui sait si, le soir, il ne pense pas à la dédicace du prisonnier de Pouchkine, « Seul, innocent, accablé de tristesse, j’étais entouré d’ennemis et mourais de détresse… »
Car aussi puissant reste-t-il, le tyran du Kremlin, accroché au pouvoir, est seul, donc vulnérable et pas invincible…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 22 septembre 2023)