« Mal nommer les choses, c’est participer au malheur du monde » disait Albert Camus. Étendu à l’alimentation et à la gastronomie à laquelle les Français sont très attachés et qui fait la renommée de la France dans le monde, cet aphorisme peut s’appliquer sur la façon de nommer les nouveaux produits alimentaires conçus in vitro en laboratoire ou à partir de protéines végétales : un steak peut-il, en effet, être « végétal », un foie gras peut-il être issu d’un processus sans gavage ? Car les mots ont évidemment un sens. On peut comprendre dès lors la colère légitime des éleveurs de voir galvauder leur travail et l’appellation de leurs produits par des sociétés qui, sciemment, utilisent leur vocabulaire et ce faisant peuvent tromper le consommateur. C’est d’ailleurs au nom de la bonne information de ce dernier que la loi « relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires », a été adoptée en mai 2020 et interdit depuis l’utilisation des mots traditionnellement attribués à la viande pour des produits qui n’en contiennent pas.
Mais derrière cette guerre de mots et les polémiques qui s’ensuivent se trouve un enjeu d’une tout autre dimension : quelle alimentation voulons-nous pour l’humanité dans les prochaines décennies, quelle organisation pour répondre aux maux qui minent le système actuel ? Car la progression de la production agricole, et notamment de l’élevage, est considérée maintenant comme une menace pour la planète et pour la survie de l’humanité : bien-être animal, droit de tuer les animaux, protection de l’environnement, occupation des terres cultivables, besoins en eau, réduction de la faim dans le monde, etc. Autant de sujets identifiés par l’ONU. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production de viande conventionnelle représente ainsi 18 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, 30 % de l’utilisation des sols et 8 % de la consommation d’eau…
Dès lors chercher des alternatives, explorer de nouvelles pistes apparaît bel et bien comme une nécessité, que ce soit par le recours à l’élevage d’insectes, par la fabrication de viande de synthèse en utilisant de la bio-ingénierie tout en tenant compte de l’évolution de notre rapport à la viande. Si le phénomène végétarien n’est pas nouveau, il a incontestablement gagné en visibilité ces dernières années, en complexité aussi. Et même s’il reste très marginal – 2 % des Français seulement disent suivre un régime alimentaire sans viande – les questions qu’il soulève méritent des réponses. Car entre l’éthique animale et la préservation d’une gastronomie ancestrale, la préservation de la planète et la nécessité de lutter contre la faim dans le monde, il y a des enjeux économiques et technologiques colossaux dont l’Europe ne peut pas être absente.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 28 juillet 2021)