Il aura donc fallu attendre un mois pour retrouver le chemin du dialogue dans l'épineux dossier de la réforme de la SNCF. Un mois de tensions, de grève perlée, un mois de certitudes martelées tour à tour par les syndicats de cheminots, le président de la République, le gouvernement et la majorité présidentielle, un mois de « galère » aussi pour les voyageurs du quotidien comme pour les vacanciers. Pour tout dire, un mois de perdu et de dialogue de sourds. Car pendant un mois, chacun est resté « droit dans ses bottes » jusqu'à la caricature, persuadé de gagner la bataille d'une opinion dont l'appréciation aura finalement peu bougé au fil des semaines (53 à 59 % de Français estiment le mouvement syndical injustifié).
Du côté de l'exécutif, on a défendu avec détermination cette réforme qui ne figurait pas au programme d'Emmanuel Macron. Le gouvernement a mis en avant l'urgence à agir pour adapter la SNCF à l'ouverture prochaine à la concurrence et, pour ce faire, a lié à cet objectif la nécessité d'aligner le statut des cheminots sur celui des salariés du privé en supprimant leurs « privilèges ». Mais l'exécutif a laissé trop de flou sur le devenir précis de la dette colossale de la SNCF, et donné trop peu de détails sur les investissements pour moderniser le réseau ferré. Du côté des syndicats, on a, a contrario, défendu logiquement les « acquis » – loin d'être mirobolants – dont bénéficient les cheminots, et on s'est opposé farouchement à toute privatisation rampante de la SNCF. Mais on a minoré certains points de la réforme salutaires pour la modernisation de la société.
Pour éviter un stérile bras de fer, un plus large débat aurait peut-être permis de mettre à plat la situation, de lever les inquiétudes, de constater aussi que le train en France comparé à l'Allemagne ou au Royaume-Uni n'a pas à rougir, et d'évoquer le rôle que le train joue dans l'aménagement des « territoires ».
À ce temps long, et au vu de l'urgence de la situation, le gouvernement a choisi une méthode plus rapide pour éviter l'enlisement : la voie des ordonnances, qui n'a nullement empêché le débat parlementaire , celui-ci se poursuivant d'ailleurs au Sénat à la fin du mois… Mais sur une réforme aussi importante, qui touche à l'histoire sociale du pays, à une part intime de l'identité nationale et à l'idée que l'on se fait du service public, davantage de temps de discussion, de pédagogie et de concertation en amont auraient peut-être évité l'impasse actuelle.
C'est vraisemblablement ce qu'a voulu corriger hier le Premier ministre en recevant tous les acteurs du dossier à Matignon et en renouant avec les principes d'une traditionnelle négociation. Fin politique dans un gouvernement aux ministres très techniques, Édouard Philippe a sans doute compris qu'au nom du pragmatisme revendiqué par l'exécutif, on ne pouvait pas ignorer les corps intermédiaires et notamment les plus réformateurs d'entre eux. Comme la CFDT dont le secrétaire général Laurent Berger a expliqué hier que court-circuiter les corps intermédiaires était « dangereux pour la démocratie ».
Quelle que soit la suite, la journée d'hier est donc importante. Elle constitue la première pierre d'un dialogue à (re)construire, peut-être un nouveau départ au vu des nuances syndicales, mais pas encore la fin du premier grand conflit du quinquennat.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi le mardi 8 mai 2018)