Les conclusions de la vaste étude de la Fondation Jean-Jaurès, qui a publié cette semaine des « cartes de France de l’accès aux soins » montrant des « soignants et patients face aux inégalités territoriales », ne surprendront pas les Français. Qui, en effet, n’a jamais été personnellement confronté à la difficulté d’obtenir un rendez-vous médical ? Des délais qui s’allongent jusqu’à plusieurs mois, l’impossibilité de retrouver un médecin traitant si le sien part à la retraite, le refus d’un dermatologue de prendre de nouveaux patients…
La situation est connue, perdure depuis plusieurs années, concerne les zones rurales comme le milieu urbain, et est douloureusement vécue dans les « déserts médicaux » dont les habitants, à raison, s’inquiètent. En moyenne, le temps d’accès aux soins pour les ruraux reste d’ailleurs généralement supérieur de 52 % à celui des urbains, relevait en février une enquête Ipsos pour la Fédération Hospitalière de France, qui pointait que le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous avait presque doublé en cinq ans sur la majorité des spécialités…
L’étude de la Fondation Jean-Jaurès apporte toutefois de la nuance et de la précision. Parce qu’elle se fonde sur une importante base statistique – 200 millions de consultations dont 5 de téléconsultations pratiquées par quelque 75 000 professionnels de santé utilisant la plateforme Doctolib – elle permet d’avoir une lecture plus fine et moins catastrophiste. Un panorama qui, au final, reflète mieux la réalité que de précédentes enquêtes ou que le ressenti, légitime mais pas suffisamment représentatif, des patients.
Ainsi la Fondation montre qu’entre 2021 et 2023, les délais médians pour avoir un rendez-vous médical n’ont pas ou peu évolué, « un signal encourageant compte tenu de l’augmentation de la demande de soins post-Covid-19 et la baisse de la démographie médicale. » Cela permet ainsi de souligner la mobilisation des personnels soignants dont une large majorité se démène pour ne pas laisser des patients sur le bord du chemin sans solutions.
Mais des problèmes perdurent, particulièrement dans une quinzaine de départements – dont le Gers en Occitanie – où l’accès aux soins est défaillant. La Fondation montre à cet égard que la plupart des cartes des délais d’accès aux soins ont tendance à se superposer aux cartes de la démographie médicale et plus largement aux cartes des inégalités territoriales tout court. Autrement dit, ces territoires en souffrance concernant la santé sont ceux qui sont déjà en difficultés socio-économiques, ceux qui aussi avait crié leur détresse lors du mouvement des Gilets jaunes. Derrière l’accès aux soins, il y a, d’évidence, de vrais enjeux d’aménagement du territoire et de décentralisation.
Au final, l’étude de la Fondation Jean-Jaurès, qui souligne aussi l’envolée de la téléconsultation, apparaît comme un outil important pour les décideurs politiques, au gouvernement comme dans les collectivités territoriales qui s’investissent beaucoup dans les maisons de santé pluridisciplinaires. Alors que le remplacement de l’ancien « numerus clausus » ne commencera à produire ses effets qu’à partir de 2035, il convient dès à présent de réfléchir à l’organisation de la médecine de demain pour éviter les fractures sanitaires dans une France où les seniors seront bien plus nombreux qu’aujourd’hui.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 25 avril 2024)