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La photo, publiée sur le compte Twitter de la fédération nationale des chasseurs, avait fait sensation. Le 15 décembre dernier, en pleine nuit, Emmanuel Macron était venu saluer des présidents de fédérations de chasse ayant traqué le sanglier lors d'une « battue de régulation » sur le domaine du château de Chambord, organisée par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Une première pour un président de la République depuis au moins quarante ans. Pour Emmanuel Macron, qui fêtait alors ses 40 ans, il s'agissait là de délivrer un message limpide sur sa vision de la chasse. Vision historique, environnementale et, bien sûr, politique.
Vision historique, d'évidence. Emmanuel Macron, depuis son élection, s'est attaché à redonner du lustre à la fonction présidentielle en usant – au risque de s'attirer des critiques en dérive monarchique – de tous les fastes patrimoniaux de la République. Le Louvre, Versailles et donc Chambord, dont le domaine forestier giboyant fut aussi celui des chasses présidentielles que même François Mitterrand – qui détestait la chasse – se retint de supprimer. Durant la campagne présidentielle, le candidat Macron avait promis de rouvrir ces chasses présidentielles supprimées par Nicolas Sarkozy en 2010 et de faire de Chambord un outil diplomatique au service du rayonnement de la France. « Je serai le Président qui développera la chasse, vous pourrez toujours compter sur moi », avait lancé, ce soir glacial de décembre, Emmanuel Macron au tableau de chasse, se posant en héritier de François Ier, le « père des veneurs. » Mais le Président, féru d'Histoire, sait aussi que le droit de chasse est devenu un acquis du peuple depuis la Révolution de 1789…
Vision environnementale, assurément. Dès janvier 2017, Emmanuel Macron, issu d'une famille qui compte des chasseurs, insistait sur la « dimension ancestrale de la chasse » et notamment son rôle dans « la préservation de la biodiversité. » Loin de la caricature du chasseur tirant sur tout ce qui bouge, donc ; loin aussi de la majorité des Français qui, dans un récent sondage, disaient ne pas se sentir en sécurité dans la nature en période de chasse ; loin, enfin, des arguments des écologistes qui voient dans les chasseurs, justement, une menace pour la biodiversité. Emmanuel Macron devra manier le « en même temps » pour concilier ces positions irréconciliables…
Vision politique enfin. Même si la cartographie du vote des chasseurs – 1,2 million – est très loin d'être uniforme et recouvre toutes les familles politiques, Emmanuel Macron a vu très tôt l'intérêt qu'il y avait à ne pas froisser les chasseurs, qui constituent un puissant lobby. Pour celui que d'aucuns ne voient que comme le Président des villes et des start-up, pour les élus ruraux qui s'estiment maltraités par l'exécutif depuis un an, les chasseurs peuvent permettre à Emmanuel Macron de renouer avec les territoires où La République en marche est encore mal implantée.
À un an des Européennes et à deux ans des municipales, la réforme de la chasse engagée hier se comprend ainsi à travers cette triple lecture. Une réforme qui, pour le Président, fait des chasseurs une belle prise.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du 28 août 2018)