Accéder au contenu principal

Bac : pari politique



Un peu plus de deux siècles après son institutionnalisation par Napoléon Ier, le baccalauréat va donc être réformé. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes que de voir que cette réforme sera portée par un ministre de l'Éducation nationale réputé pour être conservateur. De Jean-Michel Blanquer, certains se sont gaussés de son côté «vieille France», réactivant, ici la dictée quotidienne ou la méthode de lecture syllabique; là, le chant choral matinal; ailleurs, son penchant pour un retour de l'uniforme à l'école. Ses défenseurs ont, a contrario, souligné son pragmatisme. Avec la réforme du bac, si elle est menée à son terme, il faudra aussi saluer le courage de ce ministre « techno » qui déploie, d'évidence, un vrai sens politique. Car, en s'attaquant à ce « monument national » , pour reprendre l'expression de Jack Lang, l'un de ses prédécesseurs rue de Grenelle, Jean-Michel Blanquer fait ce que tous les ministres de l'Éducation nationale ont rêvé de faire depuis au moins trente ans sans jamais y parvenir.

Alléger et moderniser le bac pour l'adapter au monde d'aujourd'hui : chaque gouvernement, de droite comme de gauche, en a caressé l'idée, se nourrissant de copieux rapports rédigés par les meilleurs experts qui, aussitôt présentés, se retrouvaient enterrés au gré des réactions, parfois par ceux-là mêmes qui les avaient commandés ! Car toucher au « monument national », c'est forcément froisser des parents-électeurs nostalgiques de leur propre bac, crisper des enseignants-électeurs gardiens du temple de leur discipline, mettre potentiellement dans la rue une jeunesse lycéenne soupçonnant d'odieuses tentatives de sélection… De fait, depuis 1995 et la transformation des sections (A, B, C, etc.) nées en 1959 en séries (L, ES, S, etc.), le baccalauréat général n'a pas connu de remise en jeu véritable.

Mais les temps ont changé : Emmanuel Macron, qui a fait de la réforme de l'examen une promesse de campagne, et Jean-Michel Blanquer sentent que l'opinion est prête à accepter une réforme du bac. Ce bac qui, aujourd'hui, est acquis par 80 % d'une classe d'âge – et c'est une bonne chose quoi qu'on en dise –, mais qui ne permet pas à une majorité de bacheliers de dépasser la licence…

En réformant le bac à marche forcée, après avoir récemment réformé l'accès à l'université, l'exécutif fait un pari politique osé en instaurant notamment l'évaluation continue, possiblement sujette à l'arbitraire. La réussite de cette réforme dépendra de l'adhésion de l'ensemble de la communauté éducative, souvent rétive au changement lorsqu'on la brusque. Mais aussi au sentiment qu'avec cette réforme, chaque jeune, quel que soit son milieu social, quelles que soient ses capacités à l'entrée en seconde et quel que soit l'emplacement de son lycée en France, aura les mêmes chances de décrocher, ce qui reste, bien plus qu'un monument national, un rite de passage vers l'âge adulte.

(Editorial publié dans La Dépêche du 25 janvier 2018)

Posts les plus consultés de ce blog

Sortir des postures

Le cortège d’une manifestation ou un rassemblement pour fêter la victoire d’un club sportif qui se terminent par des émeutes, des dégradations de mobilier urbain et de vitrines de magasins, parfois pillés, et des attaques violentes des forces de l’ordre par des hordes encagoulées dans un brouillard de gaz lacrymogènes… Les Français se sont malheureusement habitués à ces scènes-là depuis plusieurs décennies. Comme ils se sont aussi habitués aux polémiques politiciennes qui s’ensuivent, mêlant instrumentalisation démagogique, règlement de comptes politiques et critiques d’une justice supposément laxiste. Le dernier épisode en date, qui s’est produit samedi soir à Paris à l’occasion de la victoire du PSG face à l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions, ne fait, hélas pas exception à la règle. Au bilan édifiant – deux morts, des dizaines de blessés, plus de 600 interpellations, des rues et magasins saccagés – s’ajoutent désormais les passes d’armes politiques. Entre l’opposition e...

La messe est dite ?

    L’entourage de François Bayrou a beau tenter d’expliquer que l’échec du conclave sur les retraites n’est imputable qu’aux seuls partenaires sociaux qui n’ont pas réussi à s’entendre en quatre mois pour « améliorer » la contestée réforme des retraites de 2023, la ficelle est un peu grosse. Car, bien évidemment, cet échec – hélas attendu – est aussi celui du Premier ministre. D’abord parce que c’est lui qui a imaginé et convoqué cette instance inédite de dialogue social et qu’il aurait naturellement revendiqué comme le succès de sa méthode un accord s’il y en avait eu un. Ensuite parce qu’il n’a pas été l’observateur neutre des discussions, qu’il promettait « sans totem ni tabou ». Il a au contraire, plusieurs fois, interféré : dès leur lancement en les corsetant par une lettre de cadrage imposant de ne pas créer de dépenses et d’équilibrer les comptes à l’horizon 2030 ; ensuite par son refus de voir abordé l’âge de départ à 64 ans, point centra...

Principes et réalité

Seize mois après les manifestations historiques des agriculteurs, nées en Occitanie à l’hiver 2024 en dehors des organisations syndicales traditionnelles, voilà la colère paysanne de retour. Ce lundi, à l’appel notamment de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, et après de nombreuses actions ponctuelles ces dernières semaines, les tracteurs seront, en effet, à nouveau dans les rues pour dire l’exaspération des agriculteurs de voir les mesures promises si lentes à se mettre en place et pour rappeler l’urgence à agir aux députés, qui examinent ce lundi à l’Assemblée nationale une proposition de loi clivante lancée par le sénateur LR Laurent Duplomb. Ambitionnant de « lever les contraintes », ce texte, plébiscité par le monde agricole mais qui ulcère les défenseurs de l’environnement et les tenants d’un autre modèle agricole, propose entre autres de faciliter le stockage de l’eau, de simplifier l’extension des élevages, de réintroduire certains pesticides dont un néonicotinoïde qu...