Revoilà la réforme des retraites qui revient dans le débat public à l’occasion des élections législatives, tel un boomerang. Et il n’y a finalement rien d’étonnant à cela tant le texte avait suscité une opposition syndicale massive et une bataille politique qui s’était heurtée au mur du 49-3 à l’Assemblée nationale brandi par un gouvernement Borne qui ne voulait surtout pas aller au vote de peur de le perdre.
Adoptée au forceps, sans véritable débat et contre l’avis des Français – 7 sur 10 disaient s’y opposer – cette réforme, qualifiée de brutale et injuste par ses contempteurs, était au contraire jugée indispensable par l’exécutif pour éviter un déficit chronique du système par répartition. Les oppositions avaient juré qu’elles reviendraient dessus dès que possible, l’exécutif martelait l’efficacité de sa loi, s’agaçant de voir que certains – la SNCF en l’occurrence – étaient parvenus à « contourner » le report d’âge par un accord social qui pourrait faire des émules.
Neuf mois après l’entrée en vigueur du report de l’âge légal de départ à 64 ans et de la fin des régimes spéciaux, le débat sur les retraites ressurgit donc au moment même où le Conseil d’orientation des retraites publie de nouvelles prévisions alarmantes. Selon l’organisme, notre système va plonger dans le rouge dès cette année et le déficit va se creuser encore plus que prévu d’ici à 2030, puis de façon continue jusqu’en 2070. En sous-texte, on comprend que les effets de la réforme de 2023 si décriée auront été minimes sinon vains. Tout ça pour ça…
Du rapport du COR, le gouvernement tirera bien sûr la conclusion qu’il n’est pas allé assez loin et que toute abrogation de sa réforme conduirait le système à la banqueroute comme l’a laissé entendre Emmanuel Macron ; les oppositions qu’il faut au contraire faire machine arrière. Le Nouveau Front populaire a ainsi présenté vendredi un programme qui confirme sa volonté d’ « abroger immédiatement » le report de l’âge légal, une position commune à toutes les formations, LFI, PS, EELV et PCF. S’y ajoute, de façon plus lointaine, « l’objectif commun du droit à la retraite à 60 ans. » Le Rassemblement national de son côté plaidait également en faveur d’une abrogation avant de faire volte-face en tenant un discours plus alambiqué. Compte tenu de la situation des finances publiques, la révision de la réforme se ferait dans un second temps si le RN arrivait à Matignon, et d’abord uniquement pour ceux ayant commencé à travailler avant 20 ans.
Au final, la France se retrouve une nouvelle fois confrontée à devoir réfléchir à l’avenir de son système de retraite, alors que le pays connaît une démographie vieillissante et des déficits publics abyssaux. Lors de son premier quinquennat, Emmanuel Macron avait voulu proposer une réforme systémique ambitieuse avec la retraite par points, que les Français étaient prêts à comprendre… avant qu’Edouard Philippe n’en fasse une classique et urticante réforme paramétrique financière avec un recul de l’âge de départ. Le projet de réforme s’était soldé par un 49-3 avant de sombrer face à la pandémie de Covid.
Quoi qu’il se passe après le 7 juillet, il y aura urgence à imaginer un système de retraite juste qui allie la solidarité consubstantielle à notre modèle social, l’efficacité et la soutenabilité financière. Pour réinventer cette retraite à la française, il faudra en finir avec les passages en force et les 49-3 et préférer un vrai temps de débat parlementaire pour faire enfin émerger le même consensus qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, avait conduit le Conseil national de la Résistance à instaurer la retraite par répartition.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 17 juin 2024)