Depuis plus de vingt ans, le dossier des travailleurs détachés empoisonne les relations sociales en Europe. En 1996, la directive Bolkestein, du nom du commissaire européen au Marché intérieur, qui visait à libéraliser les services dans l'Union, était vite devenue un monstre juridique aux conséquences politiques majeures, cristallisant les discours souverainistes de droite et de gauche sur le «plombier polonais» ; alimentant les positions nauséabondes des formations populistes d'extrême droite ; et contribuant au rejet du Traité constitutionnel européen, en France notamment.
L'idée de départ de permettre à des travailleurs européens d'être détachés dans d'autre pays en vue d'y fournir un service temporaire était a priori louable et dans la droite ligne de la libre circulation des personnes et des biens. Mais le système a vite montré ses limites, faussant la concurrence si chère à Bruxelles, déclenchant des abus en série, et finalement provoquant un insupportable dumping social alors que les économies européennes étaient frappées par la crise.
Pour répondre au problème, certains élus de droite ont imaginé introduire d'invraisemblables clauses Molière imposant l'usage du français sur les chantiers publics. À ce traitement par le petit bout de la lorgnette, aussi spécieux qu'inefficace, Emmanuel Macron a préféré la seule solution possible : un traitement global qui implique l'ensemble des États membres – et notamment les pays de l'Est – pour réviser la directive.
Le chef de l'État, qui a promis durant la campagne présidentielle de réorienter l'Europe, tient avec cette révision l'occasion d'honorer sa promesse et de montrer que rien n'est jamais figé. Mais il sait aussi la partie très difficile et combien un échec aurait des conséquences en politique intérieure. Dans l'épreuve du plombier polonais, Macron peut en tout cas s'appuyer sur un nouvel état d'esprit : selon le dernier Eurobaromètre, jamais les Européens n'ont été aussi optimistes quant à l'avenir de l'Union.
(Publié dans La Dépêche du 24 août 2017)